Nous sommes arrivés à un temps où n’entendre que le silence, aucune voiture ni aucun cri, ni aucun rire dans les rues, n’y voir personne, ne nous étonne plus ou presque.
Comme si nous acceptions qu’aucun artifice de la civilisation ne vienne troubler une forme de retour sur soi.
Comme si, plus dangereusement, l’altérité, le rapport à son semblable avait changé de manifestation…
Nous sommes reclus chez nous et peu à peu nous nous enfonçons en nous-même, épurés de cette pollution sonore et de toute distraction, mot que je prends dans son sens originel.
Pourtant, en hiver, autour d’un stade, la buée, le souffle chaud des joueurs du quinze trouent étrangement le froid ambiant. Les entrées en mêlée dans un han de bucheron, émettent un halo étrange et surnaturel bien que Brocéliande soit loin. Une sorte de mirage en somme.
Les courses, les cris et les appels sont rythmés par des coup de sifflets stridents qui animent les chœurs de supporters. Nous ne pouvons pas bien jouer au rugby sans travailler vraiment, beaucoup et longtemps. L’hiver, ce n’est pas toujours très drôle de répéter sans cesse des automatismes sur un terrain boueux, quand la nuit est déjà tombée et que le froid vous prend doucement, dans le triste regard des projecteurs.
Mais c’est ainsi que l’on progresse, que l’on injecte l’esprit d’un jeu ancien tout autant que celui décrit par Joseph Kessel dans « les cavaliers ».
Car sur un terrain, il n’y a pas de moyen de s’échapper, de s’enfuir il faut savoir affronter, surmonter la peur, savoir faire face à l’adversité, aux mauvais rebonds. Car cet étrange peau de cuir est bien loin de la sphère. Cette outre de peau de bête elliptique déconcerte, surprend et fait réfléchir par ses caprices.
Comment appréhender ses sursauts sans sens et rejaillir avec cet ovale de cuir sous le bras ?
Mais alors, comment vivre et survivre aux aléas d’une transmission hésitante et chaotique d’un étrange et insidieux germe ?
Surement, en étant porteur de sens, à savoir prendre les rênes d’une amitié transfigurée mais essentielle dans les moments cruciaux que nous vivons
Un joueur qui plaque empêche de passer, par son corps, celui qui court pour gagner, pour le bien ou le mal. Ainsi, nous parlons de sacrifice au profit de toutes et tous. Les corps craquent, et souffrent mais n’est-ce point le lendemain qui compte ?
La souffrance est un exercice compliqué, la souffrance est une maîtresse exigeante mais sans elle, que serions-nous ?
Il en est de même pour l’engagement, de celui qui joue, de celui qui vient voir, entendre, de celui qui prépare, qui sert et dessert, de celui qui dirige et de celui qui, anonyme, est essentiel.
Telle est la vie, la vie des femmes et des hommes, la vie dans la Cité, la vie dans un club plus que centenaire que la grippe espagnole n’a pas vaincue…
Alors, dans ce silence, sachons que c’est le tout qui fait un, la dépendance, l’addiction à l’amitié et au partage qui nous fera meilleurs et plus forts demain.
Restons chez nous, puis rejoignons-nous pour demain trouver le trésor, la quête de la victoire, les mains serrées par ce qui nous unit …
Jacques Servia