Troisième mi-temps :
De façon tout à fait immédiate, l’idée même de troisième mi-temps m’a renvoyé à deux images, à deux moments qui, vous le verrez, sont nés de mes lectures chaotiques et diverses.
La première expression qui me vint à l’esprit fut « le repos du guerrier ». Mal m’en a pris, car très vite après cette association d’idée, je me suis dit que c’était une réflexion machiste. Pourtant, après 80 minutes de chocs, de hans, de courses, de rucks, de raffuts, les trois ou quatre dizaines de gladiateurs aspirent bien au repos !
C’est au début du XIXème qu’apparait cette expression. Mais ce n’est pas une troisième mi-temps au sens rugbystique, puisque le repos du guerrier renvoie au plaisir sexuel que l’homme entretient et assouvit au retour de la guerre avec l’être aimé et soumis. Une sorte de repos dans des bras accueillants… L’auteure Christiane Rochefort, féministe en diable, en parle d’ailleurs merveilleusement bien dans son roman « le repos du guerrier » paru en 1958.
Dans cette hypothèse que j’abandonne évidemment, peut-être alors pourrions-nous parler de quatrième mi-temps mais celle-ci n’existe ni dans le glossaire du ballon ovale ni dans les envies de l’autre moitié du ciel, le monde féminin !
Le deuxième mot qui m’a interpellé dans cette approche de la troisième mi-temps fut le mot AGAPES. Je passe évidemment sur la version de l’église primitive et l’idée d’un repas fraternel à caractère liturgique. Il fallait entretenir l’amour dans une communauté tournée vers la prière et la foi. Je ne parlerai pas des grecs et de Platon qui donnaient trois sens au mot agapé. Un moment sans limites après le labeur, qu’il soit intellectuel ou physique, voilà une définition qui me sied !
Par ce mot AGAPES, Je reviens donc déambuler entre les tables ou le festin fait rage, où les mains se serrent, les embrassades pleuvent comme par un temps d’Ecosse, où les verres s’entrechoquent.
C’est donc cela la troisième mi-temps ?
Fait étrange d’ailleurs, il semblerait que la Madelon, Fanchon, Jeanneton, le troubadour et quelques autres s’invitent à ces gargantuesques bacchanales. Parfois même, des tentatives étranges de s’essayer au chant basque apparaissent fugacement, mais c’est un exercice difficile !
Le rugby n’est-il point le seul sport de combat qui célèbre, une fois l’affrontement passé, l’âme collective, l’équipe, le maillot ?
Finalement, sur le terrain, les acteurs de cette lutte ne font que se croiser, voire ne font que se tanner le cuir.
Cette troisième mi-temps c’est l’espace où fusent les santés, les verres vides et pleins, les rires et les coups de grande fatigue. Mais après s’être toisés, croisés, piétinés, plaqués ce moment unique est aussi le moment de se connaître.
Ce qui reste incroyable dans ce sport ovale et elliptique c’est le caractère social et fraternel d’une rencontre, puis d’une fraternité de jeu, puis d’une amitié indéfectible, qui restera indestructible « à la vie à la mort ».
Je ne parle pas des promesses du mariage, des tapes dans les mains des ados, je parle d’amitiés sans bornes, sans les limites d’un terrain, sans failles. Ces troisièmes mi-temps sont un creuset pour demain où se rencontrent des hommes et des femmes qui ne se seraient jamais rencontrés autrement. Pays, mondes urbains ou ruraux, couleurs, religions ou pas, c’est indifférent.
Mais pour donner et se donner, il faut faire confiance à l’autre plus qu’à soi-même et c’est à table que se construit ce partage. C’est aussi d’ailleurs le moment où se perd dans les cingles de la tradition l’idée même de l’adversaire, du concurrent, de « l’ennemi ». Le match se refait, mais de manière apaisée, même parfois les excuses et les confidences se lâchent dans un souffle.
Cette fête ressemble tant à une fête païenne. Peut-être en parlerais-je !
Mais finalement, la troisième mi-temps est-elle bien la troisième, celle qui fait suite aux deux sur le terrain ?
Je me demande parfois si ce n’est pas la première, celle qui justement précèderait, en créant l’égrégore, les deux mi-temps à suivre, celles du match suivant.
« S’il n’y avait pas eu la troisième mi-temps, je ne sais pas si j’aurais eu envie de jouer les deux premières… » Laurent Pardo
Jacques Servia